
Une nouvelle partition pour la musique classique
Printemps 2020 : l’Europe se fige et les salles de concerts ferment leurs portes. Le silence du confinement laisse entendre les oiseaux mais pour les musiciens, ce silence, est un mauvais présage. Sollicité pour des concerts dans le monde entier, Les Talens Lyriques est l’un des ensembles de musique touchés par la crise du coronavirus. « Nous avons fini notre tournée de concerts en Colombie le 9 mars, se souvient Lorraine Villermaux, l’administratrice de cet ensemble baroque fondé par Christophe Rousset (voir notre portrait du magazine #4). Le 10, les frontières du pays fermaient… » L’ensemble a pris de plein fouet « l’effet domino des annulations. Les Talens Lyriques, comme beaucoup d’ensembles de ce type, sont souvent engagés pour des spectacles coproduits par plusieurs opéras européens. Avec la crise, les programmateurs repensent leur saison en fonction des risques sanitaires, et privilégient souvent les artistes nationaux. Un spectacle annulé dans une ville, l’est automatiquement dans l’autre. Ainsi, nous avons perdu une production prévue à Toulouse en… 2022. »
Des idées harmonieuses
Fermeture des frontières et confinements impactent aussi les deux Conservatoires supérieurs de musique de Paris et de Lyon. Leurs étudiants étrangers, privés de cours et dans l’impossibilité de retrouver leurs familles, sont isolés. Certains, qui finançaient leurs études en donnant des cours de musique ou des petits concerts sont en situation de précarité.
Rapidement, la solidarité se met en place et des idées naissent pour offrir une alternative culturelle. « Nous avons simplement pensé aux gens qui ne pourraient pas prendre de vacances avec la crise, se souvient Damien Guillon, chanteur et directeur de l’ensemble Le Banquet Céleste. Notre idée était d’offrir dès l’été 2020 des petits concerts, dans des lieux de patrimoine (églises, châteaux, jardin) où la musique ne vient pas ou rarement. Pour cela, il fallait être inventif et mobile… »
« Je suis quelqu’un de très actif et jusqu’à la dernière minute, je n’ai pas voulu croire au confinement, avoue Léo Warynski, chef du chœur Les Métaboles. Plus de concerts, plus de possibilité de réunir mes chanteurs : j’étais dans le dénuement total. La sortie, le 26 mars 2020, de notre disque intitulé Jardin féerique a été une bouffée d’air frais pour le groupe. Le public et les critiques ont accueilli chaleureusement cette compilation de musiques françaises parlant du printemps, de la patience et de la joie. Un vrai médicament anti-déprime ! Je me suis dit, s’il y a un re-confinement, il me faut un autre disque à promouvoir… »
Un huis clos créatif et solidaire
L’expérience du confinement nourrit ses artistes des créations. L’ensemble Tactus, regroupant cinq percussionnistes lyonnais, a imaginé « R E S E T », un spectacle musical sur la vie étrangement rythmée de trois personnages cohabitant dans un espace de vie clos…
Pour aider ce secteur à tenir et à se réinventer, l’association Mécénat Musical Société Générale lance un plan exceptionnel de 2 millions d’euros en avril dernier. En quelques semaines, des bourses d’urgence parviennent à quelque 200 élèves des deux Conservatoires supérieurs de musique de Paris et Lyon. L’association vote le renouvellement ou la prolongation des subventions des 25 ensembles et projets musicaux dont le Groupe est déjà partenaire : Les Talens Lyriques, l’orchestre Les Siècles, le Centre de musique de chambre de Paris, entre autres.
Inventer de nouvelles scènes
L’association soutient également 62 nouveaux projets sélectionnés pour leur intérêt artistique ou social en partenariat avec la Fédération des ensembles vocaux et instrumentaux spécialisés. Le Banquet Céleste a obtenu une aide pour partir sur les routes de Bretagne. Pendant cette tournée de proximité, des poignées de ses musiciens spécialisés dans la musique ancienne, ont couvert cette région qui leur est chère, du Morbihan à l’Ille-et-Vilaine en passant par les Côtes-d’Armor et La Manche. Plus de 1 500 personnes ont pu découvrir, souvent au hasard de leurs visites, le répertoire baroque : Bach, Telemann, Monteverdi, etc. « Mécénat Musical Société Générale a donné l’impulsion », conclut Damien Guillon.
Léo Warynski et Les Métaboles ont proposé un projet de disque à partir de la captation d’un concert intitulé The Angels. « Nous avons fait ce jour-là un concert parfait ! se souvient Léo Warynski. C’est rare car il y a toujours un petit truc qui manque. Les anges étaient avec nous ! »
44 des nouveaux projets soutenus ont été proposés par des ensembles non-partenaires de Mécénat Musical Société Générale et sont donc venus agrandir le champ d’action de l’association. Ainsi, Le Cercle de l’Harmonie, une grande formation réputée pour ses interprétations des opéras de Mozart, a pu repenser ses propositions artistiques, une question de survie. L’ensemble a construit un projet autour des deux premières symphonies de Brahms et Bruckner pour permettre à l’orchestre de retrouver, plus facilement le chemin des salles de concerts.
Une saison prolifique à venir
Appuyé sur une organisation souple, l’enthousiasme ne connaît pas de frontières : 12 % des projets portent sur des concerts à l’international. Ainsi le Trio SR9, trois jeunes percussionnistes venus de Lyon, a pu reprogrammer sa participation au fameux festival du French May à Hong Kong. « L’idée de cette tournée, explique Nicolas Cousin des SR9, était une collaboration avec d’autres ensembles comme le nôtre : nos aînés, Les Percussions de Strasbourg, et un ensemble hongkongais, Toolbox percussion. Nous nous connaissons de réputation mais nous n’avions pas eu l’occasion de jouer ensemble. La rencontre, qui devait se dérouler à neuf musiciens sur plusieurs jours, a été annulée à cause du coronavirus. La reprogrammer nécessite de repenser beaucoup de choses, même le programme car, pour des raisons de planning, nous ne serons plus que six ! »
Les outils numériques ont permis à beaucoup d’ensembles de ne pas attendre que la partition se joue sans eux. La Cappella Mediterranea (voir encadré) donnait en septembre un concert dans un village isolé au pied du Mont-Blanc : la captation pour un futur disque a été retransmise sur les réseaux sociaux, permettant à l’ensemble de maintenir le lien auprès de ses 30 000 fans à travers le monde ! En France mais aussi à l’étranger, quelque 400 concerts ou actions culturelles seront ainsi proposés de l’été 2020 à l’été 2021.
« Les Madrigaux du compositeur baroque Sigismondo d’India (1582-1629) m’ont toujours fasciné, et cela depuis les débuts de Cappella Mediterranea. J’ai cherché longtemps à aborder ce compositeur sans vraiment oser. Depuis la création de mon ensemble en 2005, nous nous sommes surtout concentrés sur l’opéra vénitien, la redécouverte des opéras de Cavalli ou des oratorios de Falvetti.
Contrairement à son contemporain Claudio Monteverdi qui écrivait des airs sacrés le jour et des airs d’opéra le soir, Sigismondo d’India, lui, composait une musique hautement intellectuelle, d’une grande intimité, mais aussi d’une extrême exigence pour les interprètes qui veulent en révéler toute la beauté.
Après la longue période de silence, imposée par la pandémie à tous les musiciens, j’ai senti que c’était le bon moment pour mon ensemble et moi de nous retrouver autour de cette musique si intérieure et d’aborder enfin ce compositeur. Nous avons choisi une magnifique église baroque face au Mont Blanc, au cœur de la Savoie, pour enregistrer quelques-uns de ses plus beaux madrigaux. Ce fut un beau moment de se retrouver autour de ce projet pendant cette période si bouleversée. En tant qu’argentin, je suis habitué aux épreuves, et j’ai appris qu’en s’imprégnant de cette musique, on peut mieux les dépasser. Je pense souvent aux compositeurs baroques qui ont affronté de graves crises comme la peste et les famines. Dans ces périodes difficiles, l’art nous permet la « catharsis ». Il purifie nos émotions et apaise nos colères. »