
Un chiffre rond pour mettre au carré les différentes formes de raisonnements
Cet article constitue le 30e de la série, initiée il y a plus de 5 ans. Un compte rond qui nous conduit naturellement vers la thématique des chiffres. Si ceux-ci constituent le nerf de toute décision d’investissement, ils peuvent également favoriser différents biais cognitifs. Arrêtons-nous quelques instants sur la façon de quantifier nos raisonnements et décisions pour prendre un peu de distance avec les données numériques !
Avez-vous parcouru les quinze articles précédents … ou 50% des publications antérieures ?
Devant une décision d’investissement, il nous faut généralement naviguer entre un montant exprimé en valeur (en euros par exemple) et une espérance de gain souvent présentée en rendement et donc en pourcentage. Plus difficile encore, il est parfois nécessaire de convertir cette perspective de rendement en un montant fixe pour jauger de sa capacité à atteindre un objectif financier en vue de la réalisation d’un projet (achat de résidence secondaire, retraite, montant à transmettre…). On comprend ici l’enjeu d’une appréciation identique des gains, que ceux-ci soient exprimés en pourcentage ou en valeur.
Pour complexifier, on sait que la perception du rendement est influencée par le montant en lui-même. Ainsi, l’étude récente (parue en 2020) « Numerical Anchoring, Perceived Returns, and Asset Prices »1 , détaille une expérience visant à mettre en lumière les écarts de perception des rendements selon leur différence de présentation. L’auteur a adressé un message électronique à 170 000 investisseurs particuliers brésiliens en proposant un emprunt d’Etat rémunéré 9.55% par an (avec une maturité de 6 ans) illustré par un exemple avec un montant nominal soit de 1R$, soit de 100R$. Malgré une rentabilité annuelle explicite de 9.55% dans les deux types de messages, le taux de souscription (une fois le message ouvert) à cet emprunt d’Etat est presque 25% supérieur lorsque l’exemple repose sur le nominal le plus élevé !
L’auteur de l’étude explique cet écart de souscription par le fait que nous avons tendance à minimiser la valeur future de grands montants et que nous serions donc plus sensibles dès lors que ces perspectives de gains sont calculées correctement et mentionnées clairement. C’est une dérivée très particulière du biais d’ancrage que nous avions déjà évoqué dans notre article de janvier 2024.
De façon générale, on recommandera donc de raisonner sous les deux prismes : en pourcentage tel qu’il est souvent donné mais aussi, avec un petit effort, en montants absolus. Très souvent, notre perception est en effet différente selon la clé de lecture choisie. Et cette lecture concerne la ventilation des investissements dans une allocation d’actifs, la performance des supports choisis et même … la fiscalité afférente !
Vaut-il mieux avoir 10/10 ou une gommette verte ?
Ce sous-titre en clin d’œil au premier article de la série sur la rentrée des classes de 2020 remet en perspective l’importance des chiffres par rapport aux aspects qualitatifs.
Une étude2 publiée en septembre 2024 (21 expériences réalisées auprès de 23 000 personnes) insiste en effet sur le rôle très particulier des chiffres dans nos décisions. En dépassant la gestion des finances personnelles, les auteurs se sont intéressés à la façon dont nous réalisons nos choix dès lors que deux critères sont présentés, dont seul l’un d’entre eux est quantifié.
Alors que sont passés en revue des natures de décisions très différentes (le choix d’un hôtel, de lieux de conférences, de candidats stagiaires, de promotions d’employés, de dons, de projets publics…), la conclusion est systématiquement la même : nous choisissons l’option pour laquelle nous avons des données chiffrées, au détriment de celle pour laquelle nous n’avons que des données qualitatives. Et ce même si ces données qualitatives constituent un critère aussi important ! A titre d’exemple, entre deux hôtels (cher et bien noté vs moins cher mais moins bien noté), 52% des sujets de l’étude choisissent l’hôtel le mieux noté quand la note est chiffrée et que le prix exprimé en pictogramme) et seulement 33% quand le prix est chiffré et que la note est sous forme d’étoiles. Autre exemple, dans la recherche d’un stagiaire disposant d’une compétence managériale, le candidat ayant une note chiffrée de cette qualité a nettement plus de chances de l’emporter (84%) que lorsque cet aspect est jugé par une lettre (69%).
Les diverses expériences de l’étude ci-dessus démontrent l’importance conférée aux données quantitatives qui sont plus aisées à appréhender et qui offrent des comparaisons plus évidentes. Ce sont celles que nous privilégions naturellement. Pour autant, cette étude souligne aussi l’importance à donner aux critères qui ne sont pas chiffrés et dont l’analyse, qui peut être plus longue et plus fastidieuse, pourrait amener à revoir la hiérarchie des choix !




