
Capturer le silence
Ouvrir les yeux sur la part d’invisible
« Photographier des lieux de silence, c’est donner à voir une part d’invisible », estime Jimmy Beunardeau. Ce photographe passionné par la nature vit entre Taïwan et le Perche, dont il apprécie le calme des forêts. « Si on prend la peine d’y être attentif, il se passe infiniment de choses dans une forêt. La nature vit dans le silence mais n’en est pas moins trépidante. Dans cette époque où nous sommes sur-sollicités, aller vers ces lieux de calme permet de se reconnecter aux éléments naturels. »
Étonnants mondes que ceux où règne le silence ! Ou du moins le grand calme. Car le véritable “silence” n’existe guère : ce que nous avons coutume de désigner ainsi est en fait une somme de sons familiers, discrets, le plus souvent liés à la nature. Des sons qui apaisent.
Chau-Cuong Lê, photographe basé à Paris, en a fait l’expérience. Sa série personnelle Le chant de la vallée témoigne de son retour aux sources, en famille, dans un chalet des Hautes-Alpes sans électricité ni réseau téléphonique. « Ces lieux de nature où il ne se passe rien a priori sont en fait des mondes riches. On se laisse happer par les bruissements des feuilles, le vent entre les branches… Il y a comme une sorte de perception de l’essentiel qui se met en place. »
Mondes parallèles
Le silence est un monde en soi, un monde à part. Si loin, si proche. On peut aussi bien le trouver, comme nos photographes, dans le grand large, les abysses, le cœur des forêts et des vallées, ou encore le recueillement d’une abbaye. Autant de lieux isolés de la frénésie du monde, où le calme est maître. Des univers à nos portes qui ont pourtant des airs de mondes parallèles. « Je reviens parfois de plongée avec l'impression d’être de retour d’une planète lointaine, confie Laurent Ballesta, photographe sous-marin internationalement reconnu. Comme si je revenais d’un long voyage. Je vais certes de plus en plus profond et de plus en plus longtemps, mais il n’empêche qu’il suffit de passer sous la surface pour avoir cette notion troublante de monde parallèle. Ce monde inaudible pour l’oreille humaine, pourtant si proche du monde terrestre, est un authentique dépaysement. »
Sur la terre ferme, Julien Coquentin, qui a partagé en images le quotidien des frères de l’abbaye de Lagrasse, a également eu le sentiment d’être “en dehors du monde” : « Résider durant quelque temps dans cette abbaye vous extrait d’un quotidien normé pour vous plonger dans un univers de silence et de recueillement. Cela ressemble fort à ce que l’on attend d’un voyage. »
Écouter le silence
À condition de savoir écouter. Car les sons, même lorsqu’ils sont rares, n’en racontent pas moins des histoires. « J’étais aux aguets des fabuleux silences de l’abbaye, poursuit Julien Coquentin. Le silence favorise la concentration, l’affût. » C’est également ce qu’a expérimenté Stanislas Ledoux : en ralentissant, les sens en éveil, on se concentre sur l’essentiel. Ce photographe basé près de Bordeaux a eu l’occasion de convoyer un catamaran à voile de la Turquie à La Rochelle. « Le silence en mer est très relatif, explique-t-il. Sur un bateau il y a toujours des bruits : l’eau sur la coque, la vague de sillage. On apprend à écouter, à analyser cet environnement sonore particulier, à se concentrer sur ce qu’ils nous disent. »
Ceux qui ont expérimenté la photographie de faune sauvage ont pleinement conscience de cette nécessité de limiter ses propres bruits pour mieux analyser ceux qui nous entourent et s’immerger dans l’environnement : « Observer un animal sauvage n’est possible que par le silence et la patience, commente Jimmy Beunardeau. Aborder ces lieux de calme nécessite de renouer avec nos instincts animaux, de redevenir le grand singe en nous. »
S’éloigner du tumulte
Surtout, les lieux de grand calme sont aussi des échappatoires salutaires au tumulte constant des villes et à la frénésie du monde moderne. Des lieux où l’on peut faire le point avec soi-même, se recentrer. « J’habite avec ma famille dans le quartier parisien du Marais, précise Chau-Cuong Lê. Notre quotidien est rythmé, connecté, sujet aux bruits et à la pollution. Nous aimons certes vivre là, mais il nous était aussi nécessaire de décrocher de ce tumulte, de retrouver un rythme propice à la réflexion, de renouer avec un mode de vie plus simple. » Le calme permet d’entendre sa voix intérieure, d’écouter ses propres idées se mettre en place. « C’est comme un antivirus cérébral, estime Jimmy Beunardeau pour décrire ses escapades en forêt à l’écoute des sons de la nature. Le calme peut reprendre place en soi, et nettoyer toute la pollution sonore qui trouble la réflexion. Cela favorise la créativité et remet les idées en place. » Car les voyages au pays du silence sont aussi des voyages intérieurs : « Mes quelques jours dans l’abbaye m’ont offert un très étrange voyage, y compris en moi-même », confie Julien Coquentin.
La randonnée et autres échappées dans la nature sont les meilleurs – et certainement les plus simples – moyens permettant de trouver le silence, ou du moins d’écouter la nature. Y compris pour les urbains, nombreuses étant les villes qui comptent de vastes parcs ou des forêts proches. Les retraites dans des monastères de diverses obédiences offrent des possibilités plus radicales, la parole y étant à certains moments littéralement proscrite. Nombreux sont également ceux qui se tournent vers les techniques de méditation. Paradoxalement, se plonger trop longtemps dans le silence peut dans un premier temps être source de stress, certaines personnes vivant mal d’être ainsi confrontées uniquement à elles-mêmes. Mieux vaut donc privilégier de petites bulles de silence régulières.
LES VERTUS DU SILENCE
Particulièrement rare, voire inexistant, dans le monde urbain actuel, le silence est pourtant paré de nombreuses vertus. Alors que le bruit est incontestablement source de fatigue et d’irritabilité, on considère en effet que son absence améliore la concentration, diminue le stress et apaise le rythme cardiaque. Le silence serait également bénéfique pour le sommeil et la créativité. Le silence est d’or… dit le proverbe.
5 CONSEILS POUR SAISIR LE SILENCE
Sur terre, sur mer, sous la mer, en solitaire ou en groupe… chaque lieu de silence a sa dynamique propre.
Voici cependant quelques conseils qui s’appliquent en règle générale aux photographes cherchant à capturer l’essence des espaces de grand calme.
Prendre le temps de s’imprégner des lieux
Les lieux de silence s’accommodent mal de la précipitation. Soyez économes de vos mouvements et prenez le temps de vous imprégner de l’espace et de son environnement sonore avant de photographier.
Se faire discret
Dans une forêt comme dans une communauté religieuse, se faire oublier et se fondre dans le décor est le meilleur moyen pour le photographe de saisir en image l’âme des lieux.
L’art de la patience
L’art de la patience est certes une constante de la photographie, mais il prend tout son sens dans les lieux de silence. Patientez, ralentissez, laissez la magie des lieux venir à vous à son rythme.
Utilisez du matériel silencieux
Pour les photographes, les boîtiers non-reflex, qui ne produisent pas de bruit de mouvement du miroir lors du déclenchement, sont nettement plus discrets dans les espaces de silence. Il existe également des appareils proposant un mode “discret” ou “silencieux”. En plongée, certains professionnels utilisent des équipements qui ne produisent pas de bulles et sont donc plus discrets pour la faune, tant visuellement qu’acoustiquement.
Choisir un lieu où le silence est roi
Envie de vous initier au silence ? De plus en plus d’organismes proposent des cures de silence, en groupe, pendant quelques jours. On ne sera pas étonné d’apprendre qu’elles impliquent souvent des marches dans la nature. Pour retrouver le silence chez soi, les casques à réduction de bruit permettent quant à eux de gommer les bruits parasites.