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Réclamations

Vers une frugalité heureuse ?

NAVI RADJOU

Expert mondial en innovation frugale, est établi aux États-Unis.
Coauteur de plusieurs ouvrages – Le guide de l’innovation frugale (2019), Donner du sens à l’intelligence (2016), L’innovation Jugaad. Redevenons ingénieux ! (2013), aux éditions Diateino –, il a reçu, en 2013, le Thinkers50 Innovation Award.

PHILIPPE BIHOUIX

Ingénieur centralien et essayiste, est spécialiste des ressources non renouvelables.
Il est l’auteur de Le bonheur était pour demain (2019) et L’âge des low tech - Vers une civilisation techniquement soutenable (2014), publiés aux éditions du Seuil.

Face à la crise écologique, des scientifiques prônent l’innovation high-tech. Qu’en pensez-vous ?

Navi Radjou: Beaucoup ont cru que les technologies de l’information et de la communication allaient transformer le monde et sauver la planète. Mais on constate qu’elles consomment énormément de ressources et qu’elles ne sont pas abordables pour tous. Or, la technologie doit être un outil au service du bien commun. C’est pourquoi je défends une approche sage, humaniste, plutôt que smart des technologies. Il est essentiel d’en vérifier l’efficacité sociale et de réguler leur usage en fonction des pratiques et des cultures des utilisateurs.

Philippe Bihouix: Les technologies high-tech, adossées à la révolution numérique, sont en effet très gourmandes en ressources et en énergie. Jamais notre économie n’a consommé autant de matières premières, comme le soulignent les Nations Unies. Selon l’International Resource Panel, on pourrait passer de 70 à 180 milliards de tonnes extraites entre 2010 et 2050 ! Loin d’être dématérialisée, l’économie est devenue « hyper-industrielle », et s’appuie encore largement sur le charbon, le pétrole et le gaz. Et la complexité des objets high-tech – électronique intégrée, alliage de métaux rares, matériaux composites… – rend leur recyclage difficile. Résultat, plus nous allons vers des produits et des services technologiquement enrichis, plus nous puisons dans un stock limité de ressources et plus nous nous éloignons d’une économie circulaire ! Ce modèle n’est pas soutenable à long terme. Je ne dis pas qu’il faut freiner la recherche, je plaide pour une transition fondée sur les usages et pas uniquement sur les technologies. Utilisons nos connaissances pour promouvoir de bons usages au lieu de créer en permanence de nouveaux produits et services. L’innovation doit être aussi organisationnelle, sociale et culturelle.

Que recouvre le terme de low-tech ?

P.B.: Le low-tech est une démarche globale fondée sur une innovation orientée vers le développement de technologies sobres, agiles et résilientes. Elle vise à réduire fortement l’empreinte environnementale de notre consommation. Cette approche repose sur trois axes de questionnement. Primo, pourquoi produit-on ? En questionnant nos besoins, l’innovation devient facteur de sobriété, visant à diminuer la consommation à la source (exemple : la consigne contre l’emballage jetable). Secundo, que produit-on ? Cette interrogation invite à repenser en profondeur la conception des objets, à privilégier l’écoconception, pour proposer des produits réparables, recyclables… Tertio, comment produit-on ? Ne doit-on pas favoriser un travail humain de qualité et l’implantation d’unités de production moins robotisées, fabriquant des biens durables et proches des lieux de consommation ? La démarche peut contribuer à la création d’emplois et à la résilience économique des territoires.

Et l’innovation frugale ?

N.R.: L’innovation frugale prend ses racines dans le concept indien de Jugaad, qui est la capacité à improviser une solution simple mais efficace dans des conditions difficiles et avec des moyens limités. À l’instar du potier indien Mansukh Prajapati, qui a inventé un réfrigérateur autonome en argile fonctionnant sans électricité. Trois critères entrent ici en jeu : l’utilisation des ressources existantes, l’agilité, l’inclusion. Les Nations Unies ont reconnu la démarche comme un outil efficace pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD). Les entreprises peuvent se réinventer par ce biais. Le groupe Unilever, par exemple, a pris ce virage dès 2010 et prévoit de parvenir à un bilan carbone positif d’ici à 2030. Les énergies renouvelables couvriront 100 % de ses besoins énergétiques et le surplus d’énergie propre non consommée sera mis à disposition des populations locales. Tarkett, leader mondial des revêtements de sols, a changé radicalement sa façon de concevoir, de produire, de vendre ses produits, en intégrant les principes de l’économie circulaire et en cocréant des solutions avec ses clients. L’entreprise crée de la valeur pour la société et ces solutions s’avèrent, en même temps, durables financièrement. En 2017, Tarkett a dégagé un bénéfice net de 6,5 %.

En quoi innovation frugale et low-tech se différencient-elles ?

P.B.: L’innovation frugale et la démarche low-tech ont des points communs mais elles ne partent pas de la même préoccupation. L’innovation frugale a d’abord été mue par une approche business : fabriquer des produits plus simples et moins chers afin d’ouvrir de nouveaux marchés. L’innovation low-tech part d’une réflexion sur les usages et la durabilité pour proposer des produits plus sobres en ressources et facilement recyclables.

N.R.: L’approche est assez similaire, dans la mesure où elle prône notamment la réduction de l’usage des technologies énergivores. Il est aberrant que les centres de données puissent consommer à l’avenir presque 10 % de l’électricité mondiale ! Cela étant, l’innovation frugale peut utiliser la high-tech, comme le fait par exemple General Electric Healthcare en Inde, avec des électrocardiogrammes adaptés à un usage simplifié, à moindre coût, et qui s’appuient sur un logiciel avancé. Elle recouvre des pratiques, des principes et un modèle économique circulaire régénérateur qui vise un impact positif pour l’environnement. Une usine peut ainsi produire de l’eau potable pour la communauté locale.

Les citoyens sont de plus en plus demandeurs de solutions à la fois créatrices de valeur sociale et durables sur le plan environnemental.
NAVI RADJOU

Dans quels secteurs, ces démarches tendent-elles à se concrétiser ?

P.B.: Des initiatives se développent dans l’industrie, les services, le bâtiment, l’agriculture et l’alimentation, la distribution. Le bâtiment est un bon exemple pour illustrer le potentiel de cette démarche, en favorisant l’emploi de matériaux durables, locaux, l’autonomie énergétique, un habitat socialement plus inclusif… Elle va aussi pousser à se poser des questions : ne faut-il pas mieux réhabiliter l’existant ? Intensifier l’usage de surfaces bâties ?

N.R.: Les évolutions socioculturelles sont déterminantes pour l’essor de l’innovation frugale. Pour les jeunes générations, elle est un atout pour se lancer. Elle est à la portée de tous grâce à des outils comme les imprimantes 3D et des logiciels à prix abordables. Les citoyens sont de plus en plus demandeurs de solutions à la fois créatrices de valeur sociale et durables sur le plan environnemental. L’innovation frugale pénètre des secteurs comme l’industrie – textile, biens de grande consommation, automobile… –, les services financiers, l’éducation… et la santé, qui est un bon exemple, avec le développement de pratiques comme la télémédecine.

L’innovation frugale rencontre-t-elle des résistances dans les entreprises ?

N.R.: Les résistances peuvent se rencontrer à plusieurs niveaux car c’est toute la chaîne de valeur qu’il faut repenser. Au niveau de la R&D, car l’innovation est depuis longtemps associée à la complexité. Or, l’innovation frugale est porteuse de simplification. Au niveau des services marketing et commerciaux, qui redoutent l’effet sur l’image de la marque et un risque de cannibalisation de leurs produits par d’autres moins chers. Le contexte économique, la crise écologique et la nécessité pour les entreprises d’attirer les jeunes talents, demandeurs de sens, vont contribuer à faire tomber ces barrières.

Si une offre se développe pour changer d’échelle, l’innovation low-tech peut devenir un accélérateur de la transition écologique et énergétique.
PHILIPPE BIHOUIX

Des freins à la démarche low-tech ?

P.B.: Le déploiement d’une approche low-tech se heurte à l’attractivité, voire à la fascination qu’exerce la high-tech dans nos sociétés. Et il n’est pas facile de remettre en cause nos besoins, nos comportements, notre organisation socio-économique. Des expérimentations locales, citoyennes commencent pourtant à essaimer. C’est le cas des initiatives « zéro déchet ». Les jeunes aussi se mobilisent, comme en témoigne le « Manifeste étudiant pour un réveil écologique », lancé par plusieurs grandes écoles françaises. Si une offre se développe pour changer d’échelle, l’innovation low-tech peut devenir un accélérateur de la transition écologique et énergétique. Pour cela, je crois beaucoup au rôle de la puissance publique, à travers son pouvoir normatif et réglementaire, ses choix fiscaux, son pouvoir prescriptif, avec la commande publique.

Quel pourrait-être le visage d’une économie de la frugalité ?

N.R.: Il s’agit d’abord d’une économie locale, qui réduit la distance géographique entre le producteur et le consommateur, la distance temporelle, avec des processus de fabrication simplifiés et plus rapides, le décalage entre les attentes et les valeurs des consommateurs et l’offre de produits. Le consommateur devient « consom’acteur ». Il s’autonomise en étant lui-même producteur (par exemple, de l’énergie pour son habitation, grâce à des panneaux solaires qu’il a installés). L’économie frugale s’appuie sur le genius loci (l’esprit du lieu) et ses ressources, contribuant ainsi à la dynamisation des territoires.

Le low-tech, une nouvelle utopie ?

P.B.: Tout cela peut paraître utopique, comme l’ont été par le passé de nombreux changements disruptifs. Mais croire que nos sociétés pourront poursuivre indéfiniment leur trajectoire de croissance actuelle, basée sur la consommation de ressources non renouvelables l’est tout autant.

L’innovation frugale s’enseigne

L’innovation frugale suscite de plus en plus d’intérêt dans l’enseignement supérieur. En France, l’université de Paris-Saclay a créé la Chaire industrielle d’innovation et d’ingénierie frugales (I3F). En Allemagne, il existe à Hambourg un centre d’excellence sur le sujet.

Au Royaume-Uni, l’innovation frugale s’étudie à Oxford, à Cambridge, à l’Imperial College de Londres. Aux États-Unis,le Tata Center for Technology and Design, au MIT, développe des programmes de recherche sur la mobilité, l’eau, l’éducation, l’agriculture… basés sur l’innovation frugale. Navi Radjou suggère même de commencer l’apprentissage de la frugalité bien avant l’université, dans le cadre d’ateliers, dès le collège. Il dit « rêver » que se crée en Asie, où les populations ont une pratique enracinée de la frugalité, un grand centre de recherche sur l’innovation frugale, au sein duquel les chercheurs des pays du Nord et du Sud travailleraient ensemble.