Sarah de Lagarde : Un modèle de résilience et d’expertise

Pour commencer cette interview, Sarah, qu’est-ce qui caractérise votre parcours et votre vie ?
Le mot n’est pas très beau mais il résonne en moi d’une manière très particulière : multiculturalisme. Je suis le fruit d’un père allemand et d’une mère hollandaise, ce qui m’a permis, dès mon plus jeune âge, d’être exposée à plusieurs cultures distinctes, comprenant différentes langues, traditions et modes de vie. Cela m’a aussi donné la possibilité de naviguer entre les codes sociaux et les valeurs de diverses communautés, enrichissant ainsi mon expérience personnelle et professionnelle. Je vis à Londres depuis 20 ans et je suis fière et imprégnée également de cette culture. J’essaie tous les jours d’incarner les richesses de pluralités culturelles tout en construisant des ponts entre les différences. La diversité culturelle, c’està mon sens, une manière de penser et d’agir qui favorise l’ouverture d’esprit et la tolérance.

Je suis quelqu’un qui vit profondément dans le présent, profitant de l’instant. La vie m’a appris que le moment qui est là est, par essence, éphémère et qu’il faut savoir en profiter de toutes ses forces, de tout son âme, de tout son corps. Mon regard se porte souvent aussi sur le futur parce que j’aime aller de l’avant. Je vis dans le présent et ne me retourne pas vers le passé car je n’ai plus de prise sur lui !

Je ne sais pas si je suis courageuse mais je n’ai peur de rien ! Peur de ne pas y arriver, peur de l’inconnu, peur de cet homme, cette femme… Ma vie fait que je parle à tout le monde, sans appréhension, sans gêne, en respectant les plus grands comme les plus humbles. Je n’ai pas peur de demain, je n’ai pas peur pour mes enfants, je n’ai pas peur de tomber de mon piédestal.

Je suis à 120%, n’en déplaise aux mathématiciens. 100% femme, mère, amie, conférencière, entrepreneuse, montagnarde et 20% bionique avec mon bras et ma jambe artificiels. Sans que cela soit inné, j’ai appris à parler et comprendre la science bionique en 3 mois pour que mon corps et mon cerveau puissent l’intégrer. C’est cela aussi l’ouverture d’esprit dont nous parlions tout à l’heure.

Enfin, j’ai une certaine forme de joie de vivre et d’humour. Mon handicap ne me permet pas de tout faire et il m’arrive parfois de me retrouver dans des situations un peu compliquées. Je me souviens d’un voyage en Afrique où les douaniers ont passé mon bras et ma jambe dans la machine à rayons X, me forçant à me tenir en équilibre. Tout cela est cocasse et m’oblige à prendre du recul comme à ne jamais me prendre au sérieux.

Quelles sont vos sources d'inspirations, Sarah ? 
Mon mari en premier lieu. Je le considère comme mon partenaire et j’apprécie tous les jours notre complémentarité dans notre vie professionnelle et personnelle. Je suis mariée à un homme qui me comprend, me challenge et m’épaule à chaque instant. C’est important et assez rare encore pour que je le souligne.

Mes enfants bien sûr, qui me poussent aussi et m’obligent à me réinventer. Mes filles n’ont aucun filtre avec moi et me considèrent comme une maman normale sauf que ce sont elles qui lacent mes chaussures. Cela crée un lien particulier. J’ai beaucoup de chance de les avoir.

Je pense enfin à mes collègues et à toutes ces rencontres qui m’ont faite grandir. Ma vulnérabilité me connecte assez facilement aux autres, comme elle me permet d’aller à l’essentiel en laissant le superflu à sa place.

Au-delà de ce qui m’inspire, je suis aussi caractérisée par ce que je fuis. Je rejette les gens sans valeurs, ceux qui ne reconnaissent jamais qu’ils ont tort, ceux qui sont arrogants, ceux qui sont faibles avec les puissants et puissants avec les faibles. L’inauthenticité déclenche mes douleurs fantômes.

Parlez-nous du regard des autres, de la pitié que vous devez parfois déceler dans les yeux de vos interlocuteurs ? 
Cela dépend évidemment de mon état d’esprit.
Cependant, mon parcours de vie et cette capacité à vivre l’instant présent me forcent à ne pas me préoccuper des émotions des autres. Je ne me considère pas comme une victime mais comme une survivante, une guerrière. Mon bras et ma jambe bioniques me donnent des superpouvoirs !

De quoi êtes-vous le plus fière ces deux dernières années, Sarah ?
Je pense à mes 2 ascensions du Kilimandjaro en 2 ans, à mon TED Talk, à mes interventions partout dans le monde et mes rencontres. En y repensant, tout cela me semblait impossible il y a encore peu.

Je ne tire aucun ego de cela. Je n’ai pas besoin de cela pour exister, pour être aimée par mon mari et mes enfants. Je fais tout cela pour les autres et ne revendique aucune place dans la vie. Je veux juste que les gens touchent la précarité de la vie. Le prix d’une prothèse est aujourd’hui inaccessible voire prohibitif. Je me bats, je milite, je m’engage pour que ces dernières soient le plus accessibles possibles. Activiste acharnée, engagée et passionnée, ela me plaît et me rend fière.

Pour finir, Sarah, quels conseils donneriez-vous à un jeune qui réféléchit sa carrière ? 
Quoi que tu choisisses, quoi que tu fasses, fais-le bien avec la plus belle rigueur, enthousiasme et sans peur. Il ne s’agit pas de réussir dans la vie mais de réussir sa vie.