
Quel vin pour le futur ?
Hausse des températures, gelées tardives, épisodes caniculaires, sécheresses récurrentes, saisons imprévisibles… Les bouleversements climatiques redessinent la carte mondiale des régions viticoles. Face à ces phénomènes, qui impactent l’ensemble de la filière viticole, les acteurs déploient différentes stratégies pour préserver les conditions de production et la qualité des vins.
Bien que la vigne soit une plante méditerranéenne reconnue pour sa résistance, les bouleversements climatiques des vingt dernières années ont contraint les viticulteurs à s’adapter. Ainsi, la hausse des températures accélère nettement la maturation des raisins, entraînant une augmentation des sucres et donc du degré d’alcool dans les vins. Résultat, les vendanges ont lieu de plus en plus tôt, parfois dès la fin juillet, ce qui modifie la composition chimique du raisin et le profil gustatif des vins, notamment par une baisse de leur acidité. En parallèle, la prolifération de nouveaux ravageurs, comme la cicadelle vectrice de la flavescence dorée1, et de maladies telles que l’esca ou le black-rot, représente également un défi majeur pour la filière. Face à ces nouvelles réalités, les exploitations viticoles doivent faire évoluer leurs stratégies de gestion et de production.
Une nouvelle géographie des vins
La carte mondiale2 des régions viticoles se trouve redessinée. En effet, si la production viticole est techniquement possible dans presque toutes les régions du monde, l’élaboration de vin de qualité à des rendements économiquement rentables reste un défi majeur. Selon une étude réalisée par l’INRAE, Bordeaux, Sciences Agro, le CNRS, l’université de Bordeaux et l’université de Bourgogne, les vignobles historiques sont les plus vulnérables au changement climatique. Environ 90 % des régions viticoles traditionnelles côtières et de basse altitude du sud de l’Europe (Espagne, Italie, Grèce) et du sud de la Californie risquent de perdre leur aptitude à produire du vin de qualité à des rendements économiquement viables d’ici la fin du siècle, si le réchauffement climatique dépasse + 2°C. En revanche, s’il reste sous le seuil des 2°C au niveau mondial – tel que fixé par l’Accord de Paris3 en 2015 - la plupart de ces régions pourront poursuivre leur activité, à condition de déployer des mesures d’adaptation.
À l’inverse, l’étude montre également que la hausse des températures pourrait rendre de nouvelles régions plus propices à une production viticole de qualité. Ainsi, le nord de la France, les États américains de Washington et de l’Oregon, la Colombie-Britannique au Canada ou encore la Tasmanie en Australie apparaissent comme de nouveaux territoires potentiellement favorables. Plus étonnant encore, des pays comme la Belgique, les Pays-Bas ou encore le Danemark, pourraient également émerger sur la carte mondiale des régions productrices de vin.
Des exploitations fragilisées
En France, où la filière viticole représente un pilier économique et culturel majeur, les conséquences du dérèglement climatique sont de plus en plus concrètes. Avant la crise de la Covid, le vin constituait le deuxième poste d’exportation4 du pays, après l’aéronautique, avec un chiffre d’affaires de plus de 13 milliards d’euros. Aujourd’hui, la variabilité climatique met en péril cette performance et entraîne des baisses de rendement importantes. Si les régions du sud — Languedoc, Provence, Vallée du Rhône — sont les plus exposées aux sécheresses et aux incendies, le Bordelais subit également des pertes dues aux maladies et au stress hydrique, tandis que les vignobles septentrionaux (Loire, Alsace, Champagne) sont exposés à la recrudescence des gels tardifs.
Cette instabilité fragilise les exploitations, en particulier les plus petites, car elle nécessite des coûts d’adaptation élevés. À terme, ces transformations pourraient remettre en cause le modèle économique fondé sur les appellations d’origine, très dépendant de la stabilité climatique garantissant la typicité des terroirs, avec des conséquences sur l’emploi, l’aménagement rural et la compétitivité internationale de la filière.
Miser sur des cépages résistants et assouplir l'appellation d'origine
Face aux effets du réchauffement climatique, une piste prometteuse consiste à introduire des cépages plus tardifs et résistants à la chaleur, comme certaines variétés portugaises ou espagnoles. Longtemps inadaptés aux terroirs français, ils arrivent désormais à maturité dans le sud du pays, notamment en ex-Languedoc-Roussillon. Interrogée, une vigneronne5 explique avoir remplacé les cépages traditionnels des Corbières par ces nouvelles variétés : elle a pu ainsi mieux contrôler le degré d’alcool et l’acidité de ses vins. Ce changement a toutefois nécessité plus de dix ans d’adaptation : arrachage des vignes, analyses de sols, protocole d’expérimentation européen, replantation et attente de la première vinification.
D'autres vignerons suivent cette voie, en explorant des cépages oubliés. Mais ces initiatives impliquent souvent de renoncer à l'appellation d'origine. Pour encourager l’innovation, l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) commence à assouplir ses règles : depuis juillet 2024, jusqu’à 10 % de cépages expérimentaux peuvent désormais être intégrés dans les assemblages sous appellation.
Adapter les pratiques
Dans la région de Bordeaux, de nombreux vignerons s’inspirent des pratiques méditerranéennes pour renforcer la résilience de leurs vignobles. Parmi les méthodes mobilisées : l’utilisation de porte-greffes plus résistants à la sécheresse, une densité de plantation réduite pour limiter la concurrence hydrique, ou encore des tailles de vigne plus basses afin de protéger les grappes du rayonnement solaire.
L’agroforesterie constitue une autre solution6. En effet, l’introduction de grands arbres au sein des parcelles et de haies en bordure permet d’atténuer les excès climatiques en créant de l’ombre, en brisant le vent et en limitant les risques de gel. Cette cohabitation favorise également la biodiversité, en attirant des espèces utiles comme les insectes pollinisateurs, les oiseaux, les chauves-souris ou encore les lièvres et les perdrix, qui contribuent à réguler naturellement les populations de ravageurs.
Enfin le recours à l’irrigation – qui pourrait paraître évident – ne convainc pas la grande majorité des vignerons pour deux raisons : sa capacité à rendre les vignes plus vulnérables au manque d’eau en cas de sécheresse et son recours intensif à l’eau, qui devient une ressource rare.
Innover en cave
Face aux défis du climat, l’innovation œnologique7 passe aussi par un retour à des pratiques ancestrales. C’est le cas des vins blancs de macération, reconnaissables à leur couleur orange et redécouverts dans les années 1990 par des vignerons italiens alors qu’ils sont produits depuis des millénaires en Géorgie. En prolongeant le contact entre les peaux, les pépins et le jus du raisin, cette technique améliore la nutrition des levures et facilite les fermentations, même en cas de forte chaleur. D'autres avancées viennent du Nouveau Monde, où les incendies de plus en plus fréquents ont conduit à une meilleure compréhension du phénomène de smoke taint8, désormais étudié aussi en France. Enfin, ces régions viticoles plus flexibles sur le plan réglementaire expérimentent librement cépages et vinifications. Une agilité qui, selon plusieurs experts, manque encore au système français d’appellations, parfois freiné par des cadres trop rigides face à l’urgence climatique.
C’est donc dans le partage des savoir-faire et l’étude des pratiques des autres pays que la filière viticole pourra relever les défis du climat.
Le vin, un univers en constante évolution !
Il est probable que les vins que l’homme produira dans quelques décennies seront bien différents de ceux que nous produisons actuellement, tout comme ils étaient également très différents dans le passé.
Le changement climatique et ses impacts sur la production du vin dans le monde sont indéniables, et cet article en souligne les quelques éléments les plus notables. La filière vin doit constamment s’adapter et le réchauffement climatique est un des défis qu’elle doit relever mais pas le seul ! En effet, la baisse de la consommation, le changement ou l’évolution des goûts des consommateurs, les incertitudes politiques et fiscales sont aujourd’hui des facteurs nouveaux et tout aussi difficiles à maîtriser. Le monde va vite, très vite alors que la viticulture, elle, s’inscrit dans le temps.
Dès lors la question n’est pas tellement de savoir si la vigne va s’adapter (en effet, les premiers fossiles de vignes remontent à plus de 50 millions d’années), mais bien de savoir si nous allons réussir à faire face rapidement à ces changements. Par exemple, en cultivant dans de nouvelles régions ou avec de nouveaux cépages ou en modifiant la vinification elle-même.
Par Matthieu Gombault,
Responsable de l’expertise Vin & Forêt, Société Générale Private Banking
Cette expertise s’adresse aux particuliers et aux investisseurs qui souhaitent être accompagnés pour mettre en œuvre un projet dans le secteur complexe des vins et spiritueux (constitution de cave, vente ou achat de flacons spécifiques, achat ou vente de propriété viticole…).
Pour en savoir plus : Comment investir dans le Vin ? - Société Générale Banque Privée
Sources
1 : https://www.vignevin.com/publications/fiches-pratiques/flavescence-doree/
3 : https://unfccc.int/fr/a-propos-des-ndcs/l-accord-de-paris
7 : https://www.lesechos.fr/weekend/gastronomie-vins/wine-paris-2025-ce-que-les-vignerons-francais-apprennent-des-autres-pays-2147588
8 : Le “smoke taint” est un défaut des vins issus de raisins proches d'incendies, caractérisé par des arômes désagréables de fumée et de cendres, résultant de l'absorption de composés volatils par la vigne. (https://agrovin.com/fr/comment-le-gout-de-fumee-affecte-la-qualite-du-vin/#:~:text=Nous%20parlons%20du%20smoke%20taint,zones%20proches%20d'un%20incendie.)
