
L’hydrogène, un nouvel espoir pour le climat

BABETTE NIEDER
est coordinatrice hydrogène de la société de développement économique de la région Emscher-Lippe dans la Ruhr en Allemagne.

CHRISTELLE WERQUIN
est déléguée générale de l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC).
L’EUROPE SE MOBILISE POUR LANCER UNE FILIÈRE HYDROGÈNE. EN QUOI RÉPONDRAIT-ELLE AUX PROBLÈMES ENVIRONNEMENTAUX ACTUELS ?
Babette Nieder: L’objectif climat de l’Accord de Paris ne sera pas atteint si nous ne réduisons pas plus promptement les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Face à cette urgence climatique, la production d’hydrogène sera déterminante car elle « décarbonera » l’énergie utilisée dans de nombreux secteurs émetteurs de GES comme les transports et l’industrie. L’Europe, qui s’est fixé un objectif de neutralité carbone pour 2050,l’a bien compris en lançant l’« Alliance pour l’hydrogène propre » le 8 juillet 2020. L’Allemagne ambitionne de devenir la championne mondiale dans ce domaine et mobilise 9 milliards d’euros, dans le cadre de son plan de relance. Elle donne la priorité à l’hydrogène vert, produit à partir d’énergies renouvelables (éolien et solaire).
À long terme, l’hydrogène pourrait représenter 20 % de la demande d’énergie finale en France.
IL S’AGIT DONC D’UNE FILIÈRE D’AVENIR ?
Christelle Werquin: Les acteurs de la filière hydrogène française en sont convaincus ! L’hydrogène est un impératif pour réussir la transition énergétique. À long terme, il pourrait représenter 20 % de la demande d’énergie finale en France. C’est aussi une réelle opportunité pour faire émerger de nouveaux marchés (technologies) et créer des emplois industriels. De nombreux pays dans le monde investissent d’ailleurs massivement dans son déploiement, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, les États-Unis (Californie)… Une compétition mondiale s’engage et les premiers à investir significativement seront les grands gagnants. En France, l’heure est venue du passage à l’échelle : les annonces des Ministres Bruno Le Maire et Barbara Pompili le 8 septembre dernier lors d’un événement organisé par l’AFHYPAC l’ont démontré. Nous avons là une stratégie ambitieuse et cohérente, telle que nous l’appelions de nos vœux. La France souhaite également s’engager dans des partenariats européens, et en particulier avec l’Allemagne, dans le cadre d’un « Projet important d’intérêt européen commun ».
Qu’est-ce que l’hydrogène ?
L’hydrogène est l’élément chimique le plus simple : son noyau se compose d’un unique proton et son atome ne compte qu’un électron. La molécule de dihydrogène (H2) est constituée de deux atomes d’hydrogène. On parle communément d’hydrogène pour désigner en fait le dihydrogène. La combustion d’1 kg d’hydrogène libère presque quatre fois plus d’énergie que celle d’1 kg d’essence et ne produit que de l’eau.
L’hydrogène est très abondant à la surface de la Terre mais n’existe pas à l’état pur. Il est toujours lié à d’autres éléments chimiques, dans des molécules comme l’eau, les hydrocarbures. Les organismes vivants (animal ou végétal) sont également composés d’hydrogène. La biomasse constitue donc une autre source potentielle d’hydrogène.
Extraire l’hydrogène de ces ressources primaires que sont les hydrocarbures, la biomasse ou encore l’eau, nécessite un apport en énergie. Comme pour l’électricité, on considère ainsi que l’hydrogène est un « vecteur » énergétique. Autrement dit, il peut servir à emmagasiner l’énergie (celle qui a servi à le produire) jusqu’au moment où il sera transformé et la libérera.
(Source : CEA)
Hydrogène gris, bleu, vert…
L’hydrogène dit « gris » est produit à partir de combustibles fossiles (gaz naturel, pétrole, charbon) selon un processus de vaporeformage émetteur de CO2. C’est la seule forme d’hydrogène utilisée à grande échelle (95 % de la production mondiale d’hydrogène) dans le raffinage et la chimie.
L’hydrogène dit « bleu » est produit selon le même processus que le « gris » mais avec capture et séquestration du CO2 émis (CCS) ou valorisation du CO2 (CCU) ; ces solutions sont en cours d’exploration et d’évaluation.
L’hydrogène dit « vert » est produit par électrolyse à partir d’électricité issue d’énergies renouvelables. En France on parle aussi d’« hydrogène renouvelable ou bas carbone » pour signifier qu’il peut provenir d’une source renouvelable ou bas carbone comme le nucléaire. L’électrolyse de l’eau est un procédé qui sépare l’hydrogène de l’oxygène grâce à un courant électrique sans émission de gaz à effet de serre et de polluant.
AUJOURD’HUI, LA PRODUCTION D’HYDROGÈNE VERT EST CEPENDANT ENCORE MARGINALE…
B.N.: C’est un véritable défi industriel pour l’Allemagne qui fixe un objectif de 5 GW d’hydrogène vert en 2030 et de 10 GW en 2040. Pour y parvenir, il faudra fortement développer les énergies renouvelables mais aussi importer de l’hydrogène et, dans une phase de transition, recourir à de l’hydrogène bleu (lire l’encadré ci-dessus) avec captage et valorisation du CO2.
C.W.: La France dispose d’un atout majeur, son mix énergétique faiblement intensif en carbone reposant à la fois sur le nucléaire et la montée en puissance des énergies renouvelables, qui permet de produire efficacement de l’hydrogène renouvelable ou bas carbone. En 2030, la demande en France d’hydrogène de ce type représente un potentiel de plus d’un million de tonnes dans les secteurs de l’industrie, de la mobilité, ou des réseaux de gaz.
L’hydrogène vert a l’immense avantage de permettre une mobilité zéro émission grâce à la technologie de la pile à combustible.
AU-DELÀ DE L’INDUSTRIE, LA MOBILITÉ SERA-T-ELLE L’AUTRE GRAND MARCHÉ DE L’HYDROGÈNE VERT ?
B.N.: L’hydrogène vert a l’immense avantage de permettre une mobilité zéro émission grâce à la technologie de la pile à combustible (PAC). En outre, c’est dans ce secteur que son prix sera le plus compétitif (par rapport au prix du diesel). Il va s’imposer en priorité dans les transports de marchandises ou collectifs même si la stratégie allemande prévoit aussi des aides pour favoriser l’achat de voitures particulières à l’hydrogène. Pour créer un marché dans ce domaine et rentabiliser les infrastructures - les stations de recharge - il faut en effet viser des usages intensifs pour des flottes de camions, des véhicules utilitaires, des bus, mais aussi pour des bateaux et des trains.
Avec 84 et bientôt 100 stations-service hydrogène, l’Allemagne dispose du premier réseau européen. Dans le ferroviaire, l’hydrogène devrait se développer : en Europe, la moitié des lignes ne sont pas électrifiées et il représente une alternative crédible au diesel ou à l’électrification, très coûteuse. Dans le Land de Basse-Saxe, le Coradia iLint d’Alstom est le premier train à hydrogène au monde à circuler (depuis 2018) et plusieurs commandes sont en cours dans le pays.
C.W.: L’enjeu de décarbonation passe par les transports qui représentent plus du tiers des émissions de GES en France. Mais il faut engager de manière concomitante le déploiement de véhicules et d’infrastructures de recharge. En France, le modèle repose sur des flottes captives commerciales et publiques (véhicules d’intervention, de livraison, taxis, bus, bennes à ordures…) qui optimisent l’utilisation des stations de recharge et font baisser les coûts. Pour que la demande décolle et se massifie, l’achat groupé public ou privé est un levier, comme l’illustre l’exemple du bus à hydrogène avec un objectif fixé de 1 000 bus commandés ou déployés dès 2024. Des expérimentations ont lieu dans plusieurs régions, notamment en Auvergne Rhône-Alpes avec le projet Zero Emission Valley (ZEV). Et désormais, dans le cadre du plan présenté en septembre dernier, le déploiement visé est de 300 000 véhicules légers, 5 000 véhicules lourds, 250 trains, 1 000 bateaux à hydrogène, alimentés par 1 000 stations de recharge à 2030. L’utilisation de la voiture particulière à hydrogène devrait se développer d’ici à dix ans.
RESTE LA QUESTION DE L’ÉVOLUTION DES COÛTS. COMMENT LES RÉDUIRE ?
B.N.: Pour faire baisser les coûts, il faudra investir massivement dans la production d’hydrogène vert. C’est la clé pour se placer dans une trajectoire de neutralité carbone sans sacrifier notre industrie, première émettrice de GES avec des secteurs comme la chimie, la sidérurgie, le raffinage… L’acier représente ainsi environ 30 % des émissions de GES de l’industrie. Pour l’Allemagne, l’industrie est le secteur numéro un des débouchés à venir de l’hydrogène vert et c’est un enjeu à la fois écologique et économique, pour préserver et créer des emplois. Le ministère allemand de l’Économie évoque une création de 5,4 millions d’emplois en Europe en 2050.
C.W.: Dans son rapport de 2019, l’AIE estime que le coût de production de l’hydrogène renouvelable pourrait baisser de 30 % d’ici 2030 en raison de la baisse des coûts des énergies renouvelables et de l’augmentation de sa production. Pour rendre l’hydrogène renouvelable et bas carbone compétitif, il faut entraîner un passage à l’échelle avec un déploiement rapide d’équipements de taille industrielle, notamment des électrolyseurs. Entre 2024 et 2030, l’objectif de la Commission européenne est de passer de 1 à 10 millions de tonnes d’hydrogène et de 6 à 40 GW d’électrolyse pour un total d’investissements entre 24 et 42 milliards d’euros. L’industrie de l’électrolyse peut devenir un axe majeur de réindustrialisation de l’Europe. La France s’engage résolument dans cette voie en proposant de créer une filière française compétitive de production d’hydrogène bas carbone et renouvelable, en s’appuyant sur l’électrolyse.
Société Générale s’associe à l’Hydrogen Council
En janvier 2020, Société Générale est devenu membre de l’Hydrogen Council, initiative mondiale lancée en marge du Forum Économique de Davos en 2017 et dirigée par de grandes entreprises des secteurs de l’énergie, des transports et de l’industrie. Pour Société Générale, il s’agit surtout de mettre à profit ses expertises en matière de financements innovants et de conseils en énergie, au sein de l’Investor Council, un groupe dédié à l’étude de nouveaux modes de financement à grande échelle pour les solutions hydrogène bas carbone.