
La course à l’innovation pour préserver l’or bleu
L’eau douce représente moins de 3 % de l’eau disponible sur terre. Alors que cette ressource vitale est menacée par le réchauffement climatique, l’heure est à l’innovation. Aux côtés des grandes entreprises, de jeunes « WaterTechs » déploient des solutions prometteuses pour économiser l’eau. Tour d’horizon.
Aujourd’hui, 2,2 milliards de personnes1 n’ont pas accès à une eau potable sûre. Selon le dernier rapport de l’Organisation météorologique mondiale, les ressources en eau dans le monde diminuent et le stress hydrique affecte de plus en plus de territoires. Ce phénomène est dû aux modifications des cycles hydriques impactés par les activités humaines (gaspillage, irrigation intensive, artificialisation des sols, etc.) mais aussi aux conséquences des changements climatiques sur le cycle de l’eau (hausse des températures, intensification des sécheresses, etc.).
En 2023, les glaciers, qui abritent environ 60 % de l’eau douce mondiale2, ont perdu près de 600 milliards de tonnes d’eau, un record en 50 ans. En Europe, les ressources en eau renouvelable par habitant ont diminué de 24 % ces 50 dernières années, tandis que 20 % du territoire est affecté annuellement par le stress hydrique. La France n’est pas épargnée, comme l’a montré la sécheresse intense et le stress hydrique de l’été 2022.
Vers une irrigation intelligente des terres agricoles
Premier consommateur d’eau douce dans le monde, l’agriculture absorbe environ 70 % des ressources hydriques disponibles3, selon L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture 4. En France par exemple, l’irrigation des surfaces agricoles consomme plus de la moitié de l’eau douce, une tendance qui s'accentue avec la multiplication des épisodes de sécheresse. Face à cette réalité, le secteur de l'irrigation intelligente ou pilotée connaît une croissance remarquable.
Son principe ? Des capteurs dispersés dans les champs indiquent à l’agriculteur où arroser, en quelle quantité et à quel moment, en mesurant plusieurs paramètres comme l’humidité du sol, la température, la vitesse du vent ou l’évapotranspiration.
Face aux événements climatiques extrêmes, l’agrivoltaïsme, qui consiste à installer des panneaux solaires au sein d’une exploitation agricole, s’annonce également prometteur. Pionnière dans ce domaine, la startup Ombrea a conçu un système de volets modulables pilotés par intelligence artificielle pour gérer l’ombrage au sol et éviter l’évapotranspiration de l’eau d’arrosage. Avec à la clé, plusieurs bénéfices : protection des cultures, production d’énergie solaire et économie pouvant aller jusqu’à 30 % d’eau en période estivale.
Réutiliser davantage les eaux usées traitées
La réutilisation des eaux usées traitées (REUT) est une autre piste particulièrement efficace pour faire face aux multiples épisodes de stress hydrique. Pourtant, en France, seul 1 % de l’eau est recyclé, contre 14 % en Espagne ou 10 % en Italie. Mais le « Plan Eau », visant à assouplir les critères de qualité d’eau requis pour l’arrosage des espaces verts ou le nettoyage des équipements et des installations industrielles devrait permettre d’atteindre les 10 % d’ici 2030.
L’intelligence artificielle apparaît également comme une ressource intéressante. Veolia par exemple a développé une Reut Box qui optimise le traitement des eaux de stations d'épuration pour l'irrigation agricole et l'entretien urbain, en ajustant automatiquement les paramètres grâce à l'analyse prédictive. De son côté, Aquatech Innovation a développé Aquaclear, un système 100 % biologique qui, assisté par l’IA (Intelligence Artificielle), s'adapte aux variations saisonnières pour transformer les eaux usées en « eaux de baignade » dans les ports ou les campings. Ces technologies intelligentes maximisent l'efficacité énergétique, tout en garantissant une qualité d'eau constante, rendant la REUT plus accessible et performante.
Optimiser les infrastructures
En France, le réseau d’eau potable s’étend sur près de 996 000 kilomètres de canalisations5, dont une part significative est vieillissante. Chaque année, environ 20 % de l’eau distribuée - soit près d’un milliard de mètres cubes - est perdue en raison de fuites. Alors que le budget de rénovation du réseau est estimé à plus de 3 milliards d’euros par an entre 2015 et 2030, le recours à l’intelligence artificielle représente un levier stratégique. En croisant les données issues de capteurs et en mobilisant des algorithmes prédictifs, l’IA permet de localiser plus finement les fuites, d’anticiper les défaillances, d’optimiser les opérations de maintenance et de sécuriser la continuité du service, tout en maîtrisant les coûts d’exploitation.
Dessaler sans polluer
Si le dessalement est déployé depuis longtemps pour répondre au manque d’eau, la technologie est très énergivore, polluante et couteuse. Face aux limites environnementales et énergétiques des procédés classiques de dessalement, de nombreuses entreprises innovent pour développer des solutions plus durables. C’est le cas de la startup Mascara avec sa technologie d’osmose inversée, alimentée par énergie solaire. Ce système permet de filtrer l’eau de mer sous pression à travers des membranes semi-perméables, tout en limitant l’empreinte carbone et en maîtrisant les rejets salins dans le milieu marin. De leurs côtés, les technologies d’IA permettent une maintenance prédictive des membranes d’osmose inverse, augmentant ainsi leur durée de vie et leur performance. L’analyse en temps réel des paramètres de fonctionnement permet d’anticiper les dysfonctionnements, d’ajuster les conditions opératoires et de réduire les coûts d’exploitation.
S’inspirer des pays du Sud
Confrontés depuis longtemps à la pénurie d’eau, les pays du Sud6 n’hésitent pas à recycler l’eau usée traitée pour l’irrigation agricole, le nettoyage des rues, les process industriels, l’arrosage des espaces verts et même la consommation humaine.
Depuis plus de 50 ans, la Namibie fait figure de pionnière mondiale dans la gestion durable de l'eau. La toute première usine au monde capable de transformer directement les eaux usées en eau potable a été inaugurée en 1968 à Windhoek, la capitale du pays. Aujourd’hui, elle couvre 35 % des besoins en eau potable de la ville. Cette solution audacieuse inspire de nombreux pays. Singapour, avec son programme NEWater, a privilégié la pédagogie pour faire accepter cette solution et vise 55 % d'eau recyclée d'ici 2060. Israël réutilise plus de 80 % de ses eaux usées pour son agriculture, verdissant ainsi des zones semi-désertiques. Enfin, la Californie, touchée par des sécheresses chroniques, exploite l'une des plus grandes usines de recyclage au monde, dont l’eau recyclée est réintroduite dans les nappes phréatiques.
Face à la raréfaction de l’eau, l’innovation s’impose donc comme une nécessité pour bâtir une gestion plus sobre, résiliente et équitable de l’eau.
L’Europe, championne des innovations
En juillet 2024, l’Office Européen des Brevets (OEB) a publié un rapport sur les tendances d’innovation dans les technologies liées à l’eau, établi sur la base des brevets internationaux déposés entre 1992 et 2021. Selon cette étude :
l'innovation dans les technologies liées à l'eau progresse, mais à un rythme bien inférieur à celui d'autres secteurs, représentant seulement 0,33 % des brevets internationaux ;
l’Europe arrive en tête des inventions dans le domaine de l’eau, suivie par les États-Unis et le Japon ;
les grandes entreprises dominent et les universités et organismes de recherche publique progressent;
le traitement des eaux (notamment des eaux usées et des boues) est le domaine qui compte le plus d’inventions. Les technologies liées à la récupération de l’eau potable sont en forte croissance.
Lien rapport
Sources
1 – Rapport annuel de l’Unesco publié le 22 mars 2025
2 – Rapport mondial des Nations Unies
3 - rapport de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), estimation 2021
4 - L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO)
5 - https://aquagir.fr/distribution-eau-potable/connaissances/la-distribution-de-leau-potable-en-france/
6 - https://ecotime.ca/fr/2025/03/06/recyclage-des-eaux-usees-namibie/