
Ateliers Duchemin : le verre et la lumière en héritage
Aux côtés de sa sœur Charlotte, Marie Rousvoal codirige les Ateliers Duchemin, qui perpétuent l’art du vitrail depuis six générations. Une histoire de famille indissociable de l’histoire de l’art et du vitrail tant les Duchemin ont collaboré avec les plus grands artistes et architectes de leur temps. Un savoir-faire exceptionnel que l’entreprise met désormais au service de la restauration du patrimoine verrier et de la création du vitrail contemporain. Nous l’avons rencontrée.

Charlotte et Marie Rousvoal
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À quand remonte ce savoir-faire familial ?
Marie Rousvoal : Au milieu du XIXe siècle, mes ancêtres étaient des peintres sur verre plus spécialement des carnations – la chair des visages ou des mains – sur les vitraux religieux. Comme la plupart des artistes à cette époque, ils étaient itinérants. Dès la fin du XIXe siècle, ils rejoignent les ateliers de maîtres verriers marquants de leurs époques respectives, tels que celui de Jacques Gruber, grande figure de l’école de Nancy, puis de Paul Bony au XXe siècle, qui réalisa les vitraux dessinés par Matisse pour la chapelle du Rosaire à Saint-Paul-de-Vence.
Dans les années 1950, mon grand-père, Claude Duchemin, décide de créer son atelier et s’intéresse au patrimoine vitrail parisien. Mes parents poursuivent la tradition familiale en travaillant beaucoup avec des artistes contemporains dans le cadre de grandes commandes publiques. Aujourd’hui, nous perpétuons ce qui incarne la spécificité de notre histoire familiale : une culture très variée du vitrail, à la fois religieuse et décorative, en collaboration avec des artistes contemporains.
Depuis le début de votre saga familiale, le métier de maître verrier a-t-il évolué ?
M. R. : Le geste reste le même depuis le Moyen Âge si ce n’est qu’à ses débuts les maîtres verriers soufflaient eux-mêmes le verre ! Coupe, sertissage, coloration, peinture, pose… cet art appliqué nécessite la maîtrise de l’ensemble des gestes du vitrail et une véritable intelligence de la main et du corps.
Le vitrail est par nature un matériau complexe, avec de fortes contraintes techniques en termes de portances ou de volumes. Tout l’enjeu est de travailler avec ces contraintes pour les assouplir au maximum en faisant preuve de créativité et d’ingéniosité. Cela nous pousse à inventer, par exemple, de nouveaux outils et à être dans une démarche d’expérimentation continue. Quelle que soit la demande, nous disons rarement « non », nous cherchons d’abord une solution pour faire naître un vitrail alors que c’était a priori techniquement impossible. Pour conserver ces gestes d’excellence acquis au fil des années, il est fondamental de travailler sur des projets aussi bien de restauration que de création.
Cet art nécessite une véritable intelligence de la main et du corps.
Êtes-vous plus un atelier de création que de restauration ?
M. R. : Nous menons autant de chantiers de restauration que de création et nous veillons à maintenir cet équilibre. La France dispose du plus grand patrimoine au monde avec plus de 90 000 m2 de verrières anciennes, il y a donc beaucoup à faire en termes de rénovation et d’entretien, qu’il s’agisse de patrimoine religieux ou civil.
Dernièrement, nous avons simultanément travaillé sur le chantier de rénovation de la coupole du siège social historique de Société Générale, sur la création de verrières zénithales pour une résidence privée au Qatar et sur la création de vitraux contemporains en collaboration avec Jean-Michel Alberola pour la cathédrale Saint-Lazare d’Autun, en Saône-et-Loire (France), et Vera Molnár pour l’abbaye de Lérins, dans les Alpes-Maritimes (France).
Dans le cadre de projets créatifs, comment s’articule la relation entre le maître verrier et l’artiste ?
M. R. : Celle-ci peut varier d’un projet à l’autre, mais il existe aujourd’hui des collaborations très fortes entre notre atelier et certains artistes, comme l’ornemaniste Pierre Marie, avec qui nous avons noué une véritable relation de confiance dans la durée. Cela transforme la manière de concevoir les projets dans le patrimoine civil car le vitrail est pensé dès le début du processus de création. Dans le cas de commandes privées, le vitrail entrait souvent en scène en fin de projet, parfois à la demande de clients. Désormais, les décorateurs pensent plus spontanément au vitrail. Ce renouveau m’évoque la relation du maître verrier Louis Barillet avec l’architecte Mallet-Stevens dans les années 1930, pour lesquels notre famille a également travaillé.
Quelles sont vos expériences les plus marquantes en tant que maître verrier ?
M. R. : Les relations avec les artistes contemporains sont des moments très privilégiés. Il y a une quinzaine d’années, la rencontre avec l’artiste Jean-Michel Alberola, qui a conçu des vitraux pour la cathédrale de Nevers, a ainsi été décisive dans mon choix de rejoindre l’atelier familial, alors que je m’étais orientée vers d’autres métiers.
La réalisation des vitraux de Robert Morris à Saint-Pierre de Maguelone en 2002 fut également très émouvante car le chantier s’appuyait sur un savoir-faire – les verres ondulés – mis au point par mon arrière- grand-père, que nous redéployions pour la première fois à notre génération !
Comment envisagez-vous l’avenir des Ateliers Duchemin ?
M. R. : Comme dans tous les métiers de l’artisanat, le temps est une notion fondamentale. Pour acquérir une maturité dans nos métiers hautement qualifiés, il faut compter au minimum dix années.
Mais, au-delà de l’acquisition progressive d’un savoir-faire exigeant, le temps passé à l’atelier permet également d’affûter une signature Duchemin, une marque de fabrique intangible et difficile à définir mais qui lui est propre.
Il est donc très important que notre équipe, composée d’une dizaine d’artisans, puisse se projeter dans la durée au sein de l’atelier. C’est un véritable enjeu dans notre société où l’on ne fait plus carrière dans une seule entreprise comme cela pouvait être le cas pour les générations précédentes. Il nous faut également anticiper la transmission de notre savoir-faire d’exception, former des collaborateurs à un métier difficile et souvent éloigné de l’image idéalisée du métier d’artisan. Mais la diversité des sollicitations et des projets que nous réalisons en équipe, les relations que nous créons avec les artistes vivants nous permettent de nous projeter avec enthousiasme dans les années à venir !
Nous menons autant de chantiers de restauration que de création.
Renaissance d’une coupole
De 2022 à 2023, les Ateliers Duchemin ont participé au chantier de rénovation de la coupole de l’agence centrale Société Générale, au 29 boulevard Haussmann, à Paris. Sa verrière, créée au début de XXe siècle par le maître verrier Jacques Galland et inscrite à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques, est l’une des plus grandes de Paris. Elle s’étend sur 18 mètres de diamètre et 27 mètres de hauteur.
Lors de cette rénovation, plus de 1 350 panneaux, soit près de 1 250 m2 de vitraux, ont été déposés et acheminés en atelier, où ils ont été démontés, nettoyés, réparés ou remplacés (pour 30 % des verres cassés) puis remontés par les artisans verriers, avant d’être reposés sur site.
Ce travail colossal a nécessité près de deux ans d’étude, un an et demi de travaux et le concours d’entreprises aux compétences très spécifiques : un architecte du patrimoine qualifié pour travailler sur les monuments historiques, des artisans d’exception, une équipe de maîtres verriers, de cordistes et d’électriciens.
« Ce projet a été unique pour les Ateliers Duchemin à plusieurs titres, se souvient Marie Rousvoal. Au-delà de la dimension et de la très belle facture de la coupole, nous avons dû intégrer dans notre démarche de restauration une nouvelle donnée. En effet, les travaux de rénovation de l’ensemble du bâtiment ayant révélé la coupole technique de type Eiffel qui maintenait la verrière, il fallait qu’elle soit désormais visible par le public des deux côtés du vitrail. Le grand nombre d’acteurs engagés et les conditions techniques étaient également exceptionnels. L’agence est restée ouverte durant les travaux et nous avons donc déposé et reposé les vitraux pendant la nuit. Nous avons également travaillé en confinement, afin de protéger les collaborateurs comme les travailleurs de la poussière de plomb.
Tout cela a été rendu possible grâce à une très belle coordination entre les équipes et les parties prenantes impliquées. Cette collaboration a permis non seulement de conserver cette verrière mais de la projeter dans le futur, en facilitant les opérations de manutention à venir liées à l’éclairage, à la ventilation et au nettoyage… Cette verrière n’avait pas été restaurée depuis sa création, elle est maintenant prête à traverser les cent prochaines années ! »