
La parenthèse des pôles
S’enivrer d’espace et de liberté
Les environnements qui contiennent une telle promesse sont devenus rares.
Arctique et Antarctique sont avant tout synonymes d’espace. De vastes étendues de banquise immaculée, des territoires vierges baignés de la lumière tantôt diffuse tantôt éclatante de la proximité des pôles. Même à bord d’un confortable navire spécialement équipé, le voyage polaire s’accompagne toujours d’un soupçon d’aventure – il n’est pas si courant de croiser des narvals et des orques ! – et fait souffler un air de liberté. Chaque pôle a ses caractéristiques.
Au nord, un océan couvert de banquise, territoire des ours blancs (« arctique » vient du grec arktos, « ours »), peuplé depuis des millénaires par les Inuits, qui y ont développé une culture et un mode de vie propres. Au sud, une gigantesque île montagneuse recouverte d’une calotte de glace, dont les principaux habitants sont des manchots et des scientifiques en mission. Deux espaces, deux histoires, deux aventures.
Apprécier le silence
Quelques heures de vol ou de navigation, et le silence s’est fait. Total. Mystérieux. Implacable. Les appels téléphoniques ne passent pas, pas plus que les e-mails. On commence par être un peu déstabilisé, puis, bien vite, on mesure sa chance : dans notre monde hyperconnecté, l’isolement et le calme sont précieux. Ici, pas d’autre choix que de s’extraire d’un quotidien qui tend à nous aspirer dans un tourbillon permanent de sollicitations. Libéré, serein, on peut alors profiter du spectacle : la beauté des glaces dérivantes dans la baie de Disko, le reflet du soleil de minuit sur le continent blanc, le vol d’une sterne arctique au-dessus de Tasiilaq, la magie évanescente d’une aurore boréale… Le voyage polaire est aussi un voyage intérieur.
Revenir aux fondamentaux
C’est l’un des paradoxes d’une excursion vers les pôles. Il nécessite une logistique et des moyens importants pour atteindre des lieux où le dénuement est la règle. L’expérience ramène le voyageur à l’essentiel. Dans la vacuité des grands déserts blancs, chacune de nos actions fait sens : manger, dormir, boire, se protéger des éléments, réfléchir, partager des points de vue, écouter, profiter de moments de calme. Pour beaucoup, les pôles ont un effet curatif, parfois à la limite de la révélation mystique ou philosophique. Dans ce grand rien, on se retrouve, on teste ses limites, on appréhende physiquement la notion de survie, on ajuste ses repères. On replonge dans le corpus humain.
Faire partie du grand tout
S’il est une question sur laquelle il est impossible de faire l’impasse dès lors que l’on met le cap vers le Grand Nord ou le Grand Sud, c’est bien celle-ci : tandis qu’il s’émerveille de la beauté des icebergs irisés sous la lumière rasante, le voyageur polaire ne peut que se demander s’il a la chance de contempler un spectacle appelé à disparaître. Le voyage aux pôles est un rendez-vous avec la planète. Loin au Sud, les centaines de scientifiques internationaux qui scrutent les glaces de l’Antarctique accumulent les données sur les effets du réchauffement climatique. Pour le nouveau venu, c’est souvent au Nord, au contact des populations inuites, qui doivent adapter leur mode de vie à cette donne, que le déclic se produit. Face à un changement climatique qui se manifeste de manière très concrète, nombreux sont ceux qui reviennent convaincus de la nécessité d’agir pour que d’autres, après eux, puissent aussi contempler un jour la beauté de ces régions.
Côtoyer d'illustres prédécesseurs
Ils s’appelaient Fridtjof Nansen, Ernest Shackleton et, bien sûr, Roald Amundsen. Le premier fut l’un des découvreurs de l’Arctique avec son Fram ; le deuxième est resté dans les esprits avec le périple de L’Endurance en Antarctique ; le troisième a atteint en pionnier le pôle Nord puis, au cours d’une autre excursion qui a devancé de peu celle de Robert Falcon Scott, le pôle Sud. Aujourd’hui, il s’appelle Mike Horn (voir article) et collectionne aussi les exploits, en solitaire ou accompagné, dans ces terres de l’extrême. Chacune de ces expéditions s’inscrit dans la suite de la précédente, avec tout ce que celle-ci a impliqué de courage et d’enseignements.
Cette accumulation d’expériences s’impose forcément à l’esprit lors d’un voyage aux pôles. Difficile de ne pas avoir le sentiment de marcher sur les traces de ces explorateurs et de ne pas revenir avec l’impression d’être entré dans le club qu’ils ont fondé.
DE TARA À GREENLANDIA : L’homme au cœur du climat
« En revenant d’une expédition autour du pôle Nord, à bord de Tara, j’ai eu envie de témoigner autrement, en mettant l’accent sur l’aspect humain », raconte le photographe et grand voyageur polaire Vincent Hilaire. Ainsi est né le projet Greenlandia (greenlandia.org), dont la première mission, en 2020, mettra le cap sur le fjord Scoresby Sund, en territoire inuit, par 70° de latitude Nord.
L’objectif de cette mission scientifique, documentaire et pédagogique parrainée par Jean-Louis Étienne ? Prendre le temps d’écouter, observer et documenter les effets quotidiens du changement climatique sur les populations du Grand Nord. L’idée est d’en témoigner pour répondre à une lacune, que constate Vincent Hilaire : « Nous ne connaissons que très peu, ou de manière très parcellaire, les conséquences humaines du changement climatique. »

Le « continent blanc » est aussi un territoire pacifique. Initié en 1959 et aujourd’hui signé par 53 pays, le traité sur l’Antarctique précise en effet que les territoires situés au sud du 60e parallèle Sud sont réservés aux activités scientifiques et non militaires. L’Antarctique, où la température terrestre la plus basse a été enregistrée en juillet 1983 (- 89,2 °C), abrite une soixantaine de bases scientifiques.