
Interview de Michel Feraud, Président de Provepharm
Un chercheur qui veut se trouver
C’est tout jeune étudiant en chimie organique à l’Université Saint-Jérôme de Marseille que Michel Feraud a connu un déclic : « J’ai envisagé la chimie comme un Lego® où des molécules pouvaient se transformer en médicaments pour soigner ». En 1997, forts de leur doctorat, Michel Feraud et son ami d’enfance, Christophe Baralotto, décident de fonder leur entreprise – sans fonds propres – qui deviendra Provepharm Life Solutions. « Si nous n’avions aucune idée de ce que nous allions faire, en revanche nous savions exactement où nous allions le faire, c’est-à-dire dans le monde entier. »
Prise de risque maîtrisée
L’entreprise commence par proposer ses services à d’autres laboratoires comme L’Oréal, Johnson & Johnson ou encore Aventis. Elle se tourne en parallèle vers des investisseurs, tout en veillant à préserver l’indépendance de son actionnariat. « Nous avons, par exemple, réalisé un financement à travers des obligations convertibles*, à contre-courant des pratiques de l’époque. Nous avons ainsi réussi à conserver la majorité de notre capital. » En 2018, le fonds Tethys de la famille Bettencourt et ArchiMed – premiers fonds européens indépendants dédiés à ce secteur – sont ainsi entrés au capital. Et Michel Feraud et Christophe Baralotto conservent toujours 67 % des parts.
(*) Type d’obligations offrant un droit de conversion en actions.
Réinventer le bleu de Méthylène
En 2007, Provepharm Life Solutions réinvente un remède séculier, le bleu de méthylène. La molécule, découverte en 1876, possède de nombreuses qualités antiseptiques et antioxydantes.
Mais, parce qu’elle contient certains métaux lourds potentiellement toxiques, son usage thérapeutique a été progressivement interdit. En brevetant un procédé éliminant ces substances, l’entreprise a créé le bleu de méthylène Provayblue®, et notamment développé avec celui-ci un nouvel antidote contre une intoxication grave du sang. Pays après pays, les agences nationales du médicament vont donner l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de cette molécule régénérée. « Tout a commencé par la France en 2010, pour arriver aujourd’hui à une présence dans près de 35 pays. » Parmi les AMM les plus récentes, celles obtenues aux États-Unis.
« Nous avons décroché en 2016 une exclusivité de sept ans pour la commercialisation de Provayblue® en obtenant une désignation de médicament orphelin. En tant qu’entreprise responsable, cette position nous oblige à garantir une disponibilité permanente des produits pour l’ensemble du territoire américain – ce qui est normal. À cet effet, nous disposons d’un stock stratégique de 200 000 unités aux États-Unis. Il représente six mois de traitement. Nous sommes 100% tournés vers les patients. Et il est impensable qu’une personne doive se passer de sa thérapie parce qu’un laboratoire n’a pas été en mesure de gérer sa chaîne d’approvisionnement ou, bien pire, qu’il a procédé à un arbitrage financier. »
Une philosophie sociétale de l'innovation
Si les équipes R&D de Provepharm Life Solutions sont si performantes, c’est probablement parce que les actionnaires et le management leur laissent du temps. « Au sein de Provepharm Life Solutions, nous nourrissons une réelle envie d’entreprendre auprès de tous nos collaborateurs. Dans un monde en quête de sens, nous souhaitons donner du sens à l’intelligence et, surtout, éviter les comportements moutonniers. Je suis convaincu que les entreprises doivent porter un message. Le nôtre est qu’il existe une troisième voie entre les biotechs et les spécialistes du générique… celle qui consiste à réinventer des molécules aux vertus thérapeutiques ancestrales en les rendant compatibles avec les cahiers des charges très stricts des agences de santé. »
42,5 M€ pour accélérer la croissance
La création d’une nouvelle unité de production de 3 000 m2 à Marseille – 9 M€ d’investissement – ou encore l’implantation d’une nouvelle filiale aux États-Unis sont autant de signes qui soulignent l’accélération du développement de Provepharm Life Solutions. Son CA a d’ailleurs progressé de 27 % en un an pour atteindre 38 M€ fin 2018. Pour accompagner ses nouveaux projets, l’entreprise vient d’obtenir un crédit syndiqué* de 42.5 M€.
Des recherches contre la Malaria à forte responsabilité sociétale
Parmi les recherches en cours, Provepharm Life Solutions travaille sur un traitement contre la malaria, déjà soutenu par l’armée américaine. L’enjeu est de taille. Selon l’OMS, cette maladie a tué 429 000 personnes en 2015 avec près de 212 millions de cas enregistrés dans le monde. Sa stratégie ? Le No Gain, No Lost (Pas de Gain, Pas de Perte). « Nous ne sommes pas conduits par les gains, mais nous ne souhaitons pas non plus perdre d’argent. » Pour accélérer sa R&D, l’entreprise mise donc sur la fertilisation des talents de collaborateurs de plus de dix nationalités. Par ailleurs, la parité lui tient particulièrement à coeur. C’est ainsi qu’une majorité de femmes compose les effectifs et que trois d’entre elles siègent au conseil d’administration. Pour conclure cet entretien, Michel Feraud tient aussi à évoquer l’un des facteurs clefs de ses succès.
« Quels que soient la profession d’une personne, son secteur d’activité, je pense qu’il est primordial d’oser le bon sens. Cette troisième voie regorge d’opportunités, tant pour les entreprises que pour les personnes. Et, surtout, elle crée de la valeur sociétale partageable par tous. » Dans ce domaine, Michel a démontré savoir de quoi il parle.
(*) Prêt accordé par plusieurs banques à la même entreprise.