
Carpenters Workshop Gallery, une autre vision du design
Si vous deviez résumer Carpenters Workshop Gallery, en quelques mots ?
Carpenters Workshop, c’est avant tout une galerie consacrée exclusivement au collectible design, un « design de collection » qui privilégie la forme, l’approche artistique et sculpturale sur la fonction. Nos collections ont une identité particulière, ce que les Anglais nomment une flavour.
Vous représentez environ 40 créateurs contemporains. Comment sélectionnez-vous vos artistes ?
Il faut que les oeuvres qu’ils proposent de créer respectent leur exigence créative et qu’elles soient en ligne avec l’ADN de la galerie. Cela commence toujours par une vraie conversation. Quand nous sentons qu’un artiste a du potentiel, et quand nous aimons son approche, sa réflexion, ses émotions, les matériaux qu’il utilise, nous réfléchissons à comment nous pourrions travailler ensemble.
Les profils sont très divers : des créateurs de mode, de Karl Lagerfeld à Rick Owens, des créateurs comme Vincent Dubourg ou Nacho Carbonell – probablement les plus « artistes » et « sculpteurs » de tous –, ou des Marteen Baas et Studio Job qui ont, quant à eux, une culture et une formation de « purs » designers.
Quelles ont été les grandes étapes de votre développement international ?
Au début, nous n’avions pas nécessairement l’ambition de nous développer au-delà de Londres, où nous avons d’abord ouvert un espace à Chelsea, en 2006, puis à Mayfair, en 2008. Pour ce qui concerne la France, je me suis toujours dit qu’une installation à Paris devait se faire avec un projet fort et ambitieux. L’occasion s’est présentée en 2011 par la reprise des locaux de la Galerie de France, rue de la Verrerie, dans le Marais.
Puis, avec le temps, nous avons réalisé que notre offre plaisait beaucoup aux États-Unis. Nous devions en être plus proches avec une présence physique.
Nous pensions simplement ouvrir un bureau à New York, mais avons visité un lieu extraordinaire, sur la 5e Avenue, à deux pas du MoMA, où nous avons installé notre galerie en 2015. Une décision finalement judicieuse, vu le succès de cette implantation, qui nous a incités à renforcer notre présence sur le marché américain en ouvrant en 2018 une seconde galerie à San Francisco !
Et en parallèle, vous vous êtes considérablement renforcés en Europe, puisqu’en 2015, vous avez créé, en région parisienne, vos propres ateliers de production. Que représentent-ils pour vous ?
Les ateliers sont très importants pour ce que nous sommes. Créer des pièces d’exception exige d’avoir des artisans capables de les produire. Dans l’industrie du luxe, chaque année des artisans et leurs studios disparaissent, faute d’avoir été aptes à répondre à la globalisation du marché.
Face à cette situation, si nous n’avions pas agi rapidement, nous aurions eu une multitude de créateurs et d’artistes avec des idées formidables, mais avec une capacité matérielle à transformer celles-ci en pièces exceptionnelles mise en péril. Il nous a donc fallu réfléchir à la manière d’intégrer une partie de notre fabrication, pour assurer la pérennité de notre entreprise et de son développement.
L’intégration verticale nous est apparue évidente, et nous avons créé cet écosystème près de Roissy, où nous regroupons aujourd’hui une quarantaine d’artisans aux expertises totalement différentes. À cela nous avons ajouté un programme où chacun d’eux prend en charge un jeune apprenti. Nous voulons ainsi donner une nouvelle vie à des métiers menacés par le départ à la retraite d’artisans aux savoir-faire uniques.
Qui sont vos clients ?
À vrai dire, ils sont formidablement différents les uns des autres, mais ont souvent en commun un appétit pour l’art contemporain en général.
Certains, très fortunés, ont à la fois les moyens, l’espace et l’envie de vivre dans des environnements exceptionnels. Mais, à l’autre bout du spectre, notre travail de découvreurs de jeunes talents nous permet également de proposer des oeuvres dont les prix sont très abordables, sachant que notre éventail de prix varie entre 5 000 et 500 000 euros. Et, lorsque nous rencontrons des vrais amoureux de l’art aux moyens plus restreints, nous offrons des solutions qui leur permettent d’assouvir leur passion !
Votre exposition “Dysfunctional” au Palais Ca’d’Oro*, a créé l’événement cette année à Venise, en marge de la Biennale d’Art Contemporain. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Avec plaisir ! « Dysfunctional » est un projet ambitieux qui s’inscrit de façon naturelle dans notre vision de l’objet de design comme oeuvre d’art, comme « sculpture fonctionnelle ». Nous nous intéressons à la forme de l’objet et au voyage émotionnel que l’artiste a le pouvoir de transmettre par sa création.
Nous sommes plus dans le langage et l’univers de l’art que de dans celui du design. Et quel meilleur endroit pour faire un geste fort que Venise pendant la grand-messe qu’est la Biennale d’art contemporain ?
Notre ambition était aussi d’y montrer que ce que l’on considère comme l’excellence de la création contemporaine pouvait vivre en harmonie avec une architecture et des pièces classiques extraordinaires, de Mantegna, du Titien, de Bernini… Les artistes contemporains invités à cette exposition sont exceptionnels, justement parce qu’ils parviennent à marier leur travail de façon naturelle et organique avec le meilleur de l’architecture et de la peinture classiques.
Pour finir, y a-t-il des projets à venir que vous souhaiteriez évoquer ?
D’abord, nous allons publier prochainement un ouvrage consacré à « Dysfunctional ». Pour l’année qui vient, nous sommes dans une dynamique très vertueuse. Le projet Venise et les expositions de nos galeries ont reçu un écho très fort dans le monde de l’art et du design. Cette riche actualité fait que nous sommes en pourparlers avec de nombreux artistes, et je pense que six ou sept d’entre eux vont rejoindre notre « écurie », ce qui est très excitant.
Notre objectif pour les prochains mois est donc de capitaliser sur le bon travail réalisé et d’intégrer avec succès tous les nouveaux artistes sur lesquels nous misons aujourd’hui.
Nous préparons également d’ambitieuses expositions dans nos galeries de Londres, de New York, de San Francisco et de Paris, que nous invitons chaleureusement vos lecteurs à venir découvrir ; ils seront les bienvenus !
(*) Jusqu’au 24 novembre 2019.